Samir Kassir (1960-2005)
Né en 1960 d'un père d'origine palestinienne et d'une mère d'origine syrienne, Samir Kassir grandit au Liban. Comme tant d'autres Libanais, il quitta pour Paris pour y poursuivre ses études à la Sorbonne d'où il obtint en 1984 deux diplômes en philosophie et philosophie politique. En 1990, Kassir obtint de la même université, un doctorat en Histoire Moderne, pour rejoindre plus tard le Département d'Etudes Politiques de l'Université Saint-Joseph à Beyrouth en tant que chargé de cours. A cette époque, Kassir entama aussi une carrière journalistique dans plusieurs journaux et périodiques, dont Annahar, principal quotidien libanais, Al-Hayat, panarabe basé à Londres, Le Monde diplomatique, et l'Orient - Le Jour, quotidien beyrouthin francophone. Samir Kassir est co-auteur du livre Itinéraire de Paris à Jérusalem, publié en 1992. En 1994, Kassir publie son second ouvrage, La guerre du Liban. Il publie en 2003 son troisième ouvrage, L'histoire de Beyrouth et en 2004 deux livres en arabe, La démocratie Syrienne et l'indépendance du Liban ainsi que Militaire contre qui? A partir du milieu des années 90, Kassir devient particulièrement connu pour son éditorial hebdomadaire dans Annahar, paraissant chaque vendredi. Il fut parmi les premiers à déclarer ouvertement son opposition à l'hégémonie du régime syrien sur le Liban, à travers ses éditoriaux et ses débats publics. À la différence des nationalistes libanais, Kassir lança un grand débat au sujet de la démocratie et de la liberté, non seulement au Liban, mais également en Syrie et dans le reste du Monde Arabe. Néanmoins, son soutien à la démocratie dans le Monde Arabe ne fit pas de lui un nationaliste arabe. Appartenant à une école de pensée internationaliste de gauche, Kassir s'opposa au nationalisme chauvin, aux dictatures, et à la répression. Ces positions de gauche de Kassir n'affaiblirent en rien son appui à un Liban indépendant, libre et souverain, tout en maintenant la démocratie et la laïcité comme primordialités pour la reconstruction du pays, surtout pour la période d'après hégémonie syrienne. A l'apogée du soulèvement de l'indépendance du Liban, lorsque le sentiment anti-syrien atteignit son plus haut niveau, engendrant dans certains cas, parmi les Libanais, des réactions violentes à l'encontre des travailleurs syriens au Liban, Kassir se fit le défenseur des droits de ces ouvriers réitérant à maintes reprises que l'opposition à la dictature syrienne ne devait en aucun cas être confondue avec la relation entre les deux peuples. Kassir était fermement convaincu que le "Printemps de Beyrouth" conduirait inéluctablement à une vague de démocratie à Damas et balayerait la dictature syrienne du pouvoir qu'elle occupe depuis 1970. Toutefois, ses écrits au sujet de la nécessité de rétablir la démocratie en Syrie passaient au second plan derrière son souci de débarrasser le Liban de l'emprise Syrienne par le démantèlement des services de renseignement syriens et libanais dont l'emprise avait miné l'établissement de la démocratie dans les deux pays. "Nos frères Syriens - ouvriers, hommes d'affaires et intellectuels confondus -, affirme-t-il, pourraient avoir été offensés pendant un moment à cause de ce qu'ils auraient perçu comme une offensive qui les visait, tandis que ceci n'est en fait que le fruit de la répression qui s'était abattue aussi bien sur eux que sur les libanais. Ils réaliseront bientôt - plus que d'autres -, affirme-t-il, que le printemps arabe, qui s'épanouit à Beyrouth, annonce le temps de la floraison à Damas"(1). Le soutien de l'Amérique à la démocratie dans le Monde Arabe a bien été salué par Kassir, à condition que les Etats-Unis renoncent à leur vieille et simpliste compréhension de la démocratie arabe. "Ce dont la réconciliation (américano-arabe) aurait besoin, écrit Kassir, si les Etats-Unis étaient vraiment disposés à réaliser une telle réconciliation, c'est que l'Amérique remette en question sa conception de la démocratie arabe, qui a jusqu'ici été limitée à l'exigence américaine que les arabes renoncent à leur projet d'Unité Panarabe, ainsi qu'au soutien qu'ils apportent aux revendications des Palestiniens et à leur cause qui continue de mobiliser les sentiments nationaux et patriotiques dans le Monde Arabe"(2). Kassir ne prit jamais de positions dogmatiques contre l'ingérence étrangère dans les affaires du Liban et dans celles du Monde Arabe. Tandis que bon nombre de Libanais exprimaient leur opposition totale ou partielle à la résolution 1559 du Conseil de Sécurité de l'ONU qui exige que la Syrie retire ses troupes du Liban, et que soient congédiées les milices armées opérant toujours sur le sol libanais, Kassir était "ferme" dans son soutien à la résolution. Dans son entrevue avec le quotidien Koweitien Assiyasah du 5 novembre 2004, à la question « est-ce que la résolution 1559 du Conseil de Sécurité des Nations unies, est une épée dirigée vers le Liban," Kassir répondit que c'était plutôt "une épée dirigée contre la Syrie, tandis qu'en tant que Libanais nous ne pouvons que soutenir cette résolution parce que nous demandons la souveraineté et l'indépendance de notre pays"(3). Il ajouta : "Nous ne sommes pas embarrassés par cette résolution parce que toutes ses clauses sont conformes aux résolutions précédentes de l'ONU ainsi qu'à celles de la Ligue Arabe, et aux accords de Taef. La résolution 1559 est devenue une partie intégrante du droit international qui fut de tout temps un refuge pour le Liban, la Syrie et tous les autres pays, et nous n'avons aucun intérêt à nous opposer au droit international ou à rejeter l'application de ses résolutions"(4). Kassir s'opposait ouvertement à l'administration de Bush. Il critiquait le soutien incontestable des USA à l'état d'Israël ainsi que la perspective simpliste des USA sur l'établissement de la démocratie dans le monde arabe. Sur les questions libanaises intérieures, Kassir, n'épargnait aucun dirigeant libanais. A cet égard, son article du 6 mai 2005, un jour avant le retour du général Aoun, ancien chef de l'armée libanaise, de son exil, avait une teneur particulière. "Michel Aoun, dit-il, ne devrait pas refaire apparition sur la scène libanaise en tant que père de l'indépendance, parce qu'il ferait ainsi perdre toute signification au processus de soulèvement pour l'indépendance"(5). Naturellement, soucieux de consacrer et de préserver la démocratie, Kassir trouva inacceptable que quiconque essaye de monopoliser ce que lui-même percevait comme le résultat d'un processus auquel ont contribué les Libanais dans leur ensemble. En conclusion, Kassir était une voix vibrante du Mouvement de la Gauche Démocratique dont il est co-fondateur. Ce groupement fondé à Beyrouth en novembre 2004, était selon Kassir une nécessité. Kassir se rendit compte que la Gauche au Liban avait survécu à deux expériences amères : l'expérience ratée au sein du Mouvement National qui s'acheva par la marginalisation complète de la Gauche après 1990 par les Syriens, et la chute de l'Union Soviétique qui affecta la Gauche dans son ensemble. Kassir croyait cependant, que malgré ces épreuves, le Liban continuait à offrir des opportunités favorables à l'action des partis politiques. "Nous devons admettre, dit-il dans l'entretien accordé au même quotidien koweitien, que la situation actuelle ne semble pas favorable pour le développement d'une pensée de gauche, en raison des conditions économiques engendrées par l'hégémonie totale du libéralisme, et pour des raisons d'ordre intellectuel découlant de la domination de la pensée islamique(6). Mais il y aura toujours une place pour ce mouvement laïc maintes fois déçu par l'expérience libérale. À mon avis, le besoin se fait sentir pour que des efforts soient déployés pour l'établissement de la justice sociale, tout en prenant en compte toutes les remarques et réserves formulées au sujet de l'Etat Providence"(7). Selon Kassir, les fondateurs du Mouvement de la Gauche Démocratique insistèrent sur le fait que leur expérience ne serait pas une prolongation de celle du Parti Communiste Libanais mais plutôt une initiative entièrement nouvelle. "Ceci, m'a convaincu, a-t-il dit, de contribuer à ces efforts au sein de ce groupement"(8) La montée en flèche de la renommée et de l'influence de ce charmant journaliste barbu, au printemps de l'âge, universitaire et cofondateurs du Mouvement de la Gauche Démocratique fut la cible privilégiée de beaucoup qui se sont avérés être ses véritables ennemis, dont les responsables des services de renseignement libanais et syriens qui ne cessaient de poursuivre Samir pendant une décennie. Le Jeudi 2 juin 2005, au volant de sa voiture, parquée devant l'immeuble où il habite à Ashrafieh, quartier résidentiel de Beyrouth, Samir Kassir avait à peine fait quelques pas sur son chemin habituel le menant au Annahar, qu'une charge explosive, installée sous son siège, éclate provoquant sa mort immédiate. L'assassinat de Samir porte à 28 le nombre des journalistes qui ont jusqu'ici été victimes d'attentats depuis la pendaison par les Ottomans, en 1918, de plusieurs journalistes et activistes libanais et syriens ayant oeuvré pour l'indépendance de leur pays. Sa mort provoqua une profonde indignation et une vaste condamnation au Liban et de part le Monde. Tandis que ses amis et partisans, à Beyrouth, à Washington et à Paris, manifestaient, bougies à la main, pour rendre hommage à Samir symbole de leurs espérances ravies, le Conseil de Sécurité se réunissait - selon une démarche inhabituelle - pour pardonner cet assassinat. À 45 ans, un terme a été mis à la vie d'un des journalistes les plus talentueux et les plus courageux au Moyen-Orient, quittant son épouse Giselle Khoury et ses deux filles Mayssa et Eliana. Cependant, ses camarades du Mouvement de la Gauche Démocratique et ses amis ont juré de maintenir sa mémoire vivante et de poursuivre le chemin qu'il a emprunté pour instaurer la démocratie, la laïcité et l'égalité sociale, au Liban et dans le Monde Arabe. ----- 1- Samir Kassir, «Beyrouth est le Printemps des Arabes », Annahar, le 4 mars 2005. 2- Samir Kassir, «Rechercher l'Américain laid», Annahar, le 3 octobre 2003. 3-Assiyasah, le 5 novembre 2004. 4- Ibid. 5- Samir Kassir, «Le Retour du Père Perdu», Annahar, le 3 octobre 2003. 6- Assiyasah, le 5 novembre 2004. 7- Ibid. 8- Ibid.
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